Images malgré tout. Corps tatoués et écoles criminalistes dans le regard de R. A. Reiss

Rodolphe Archibald Reiss (1875-1929), points de vue

Images malgré tout. Corps tatoués et écoles criminalistes dans le regard de Rodolphe Archibald Reiss



Alessio Petrizzo

Résumé

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« Les affirmations de Lombroso tiennent trop souvent du roman plutôt que de la vie réelle. Il ne faut pas accorder trop d’importance à ses lois ; dans ce domaine, contentons-nous d’hypothèses. » Sous la date du 20 octobre 1910, la voix de Rodolphe Archibald Reiss résonne à travers les notes du carnet d’un élève. Dès les premières minutes de sa première leçon de l’année 1910-1911 à l’Institut de police scientifique de l’Université de Lausanne, d’un air amusé et pourtant résolu, Reiss rejette sans appel les théories de Cesare Lombroso (1835-1909), le chef de file de l’école italienne d’anthropologie criminelle[1].

Malgré les divergences aussi bien intellectuelles que générationnelles, le photographe suisse n’avait pas manqué de rendre hommage à Lombroso lors des célébrations de 1906 marquant à la fois le trentième anniversaire de sa chaire universitaire et de son ouvrage le plus fameux et discuté, L’uomo delinquente[2]. Le double anniversaire avait coïncidé avec le sixième Congrès international d’anthropologie criminelle, organisé à Turin du 28 avril au 3 mai. Le musée formé autour des collections du criminaliste fut alors officiellement ouvert au public[3]. C’est à cette occasion que Reiss fit don à Lombroso d’une quarantaine de tirages issus de son activité montrant plusieurs applications de la photographie à l’enquête judiciaire : pièces qu’il venait, au moins en partie, de présenter à l’exposition qui se déroula parallèlement au congrès scientifique[4].

Parmi ces clichés, aucun ne représente de sujets tatoués ou de tatouages. A première vue, cela paraît surprenant. A cette époque, Reiss avait déjà établi le procédé permettant de résoudre les multiples difficultés qui se posaient aux photographes dans la tentative de fixer sur plaque des individus à la peau ornée de tatouages. Après un demi-siècle d’études médico-légales et criminalistes[5], et malgré l’essor d’autres signes désormais plus fiables comme les empreintes digitales, les tatouages demeuraient précieux dans le domaine de l’identification de cadavres, de suspects et de récidivistes, même si le bleu ardoise de l’encre de Chine résistait singulièrement à ressortir de la couleur de la peau sur les clichés. 

Dans son traité La photographie judiciaire publié en 1903, Reiss avait consacré un chapitre entier à « La photographie des tatouages » composé de quatre pages denses à l’allure strictement technique et opératoire. La méthode permettant de résoudre le problème du relevé photographique était présentée dans un équilibre complexe entre éclairage du sujet, temps d’exposition instantané et, surtout, développement du cliché à l’aide de certains révélateurs et tirage à travers un verre vert ou jaune pour renforcer les contrastes[6].

Deux clichés illustraient le chapitre (fig. 1) dans le but de montrer la netteté des résultats obtenus avec les procédés minutieusement décrits, qui apparemment poursuivaient et perfectionnaient des techniques déjà utilisées en photographie médicale, et notamment la photographie des maladies de la peau[7]. On peut imaginer que la mise au point de la méthode et la définition des outils les plus efficaces fut longue et fatigante. C’est pourquoi, dans son chapitre, Reiss ne manquait pas de signaler à ses confrères quels matériaux s’étaient révélés les plus adéquats (« un papier à contrastes tel que le “Velox” étiquette noire ou le papier Rembrandt »[8]).


1. Rodolphe Archibald Reiss, La photographie judiciaire, Paris, Mendel, 1903, p. 206-207. 

En fait, face aux nombreux essais de prises de vue de corps tatoués coûteux et rarement satisfaisants, d’autres savants avaient fini par délaisser le médium photographique en faveur de techniques graphiques de (re)production en principe moins « objectives », comme le calque et le dessin[9]. Un autre indicateur confirme la difficulté répandue d’obtenir de bons résultats dans ce domaine. Tant les publications scientifiques (fig. 2) que les collections d’archives de l’époque (fig. 3) révèlent que, contrairement à Reiss, un certain nombre de médecins de prison ou d’armée, de photographes amateurs, et même de professionnels, ignoraient l’injonction célèbre d’Alphonse Bertillon : éviter tout recours à la retouche dans un domaine aussi délicat que la production d’images destinées aux procédures d’identification[10]. C’est d’ailleurs la méthode Reiss que les photographes les plus actifs dans les réseaux professionnels et institutionnels de la criminologie italienne devaient reconnaître comme référence incontournable pour traiter les corps tatoués, même lorsqu’ils tentaient de lui opposer des procédures alternatives où se mêlaient questions techniques et rivalités nationales ou d’écoles[11].

2. « Fotografia 35a. Tatuaggio politico-affettivo-d’animali », tiré de Emanuele Mirabella, Il tatuaggio dei domiciliati coatti in Favignana, Naples, Perrella, 1906. Planche hors texte non numérotée.

3. Cliché retouché à l’encre, sans date. Université de Turin, Museo di antropologia criminale Cesare Lombroso (Fonds Museo Cesare Lombroso, 1025). © Museo di antropologia criminale Cesare Lombroso.

Pourquoi donc ne pas apporter à Turin des résultats aussi excellents que rares à l’époque ? Dans ce choix, le rôle précisément joué par le tatouage dans la définition du criminel chez Lombroso a pesé de tout son poids, ainsi que l’interprétation polémique et stéréotypée que Reiss donnait de son héritage. Dans les écrits de nombre de criminalistes italiens, les tatouages étaient de plus en plus interprétés non comme de simples marques primitivisantes qui caractériseraient le corps du criminel, traces de l’atavisme ou retour en arrière dans le processus évolutif (à l’origine des comportements déviants selon les anciennes théories du maître), mais plutôt comme autant d’iconographies et de messages à décrypter pour avoir accès à la fois à la psychologie, à l’histoire et à l’identité de leurs porteurs (ce qui, à vrai dire, n’était pas hors du champ d’intérêt du psychiatre et médecin-légiste Lombroso).

Certes, les écrits italiens restaient encore trop liés à une théorie générale du type criminel refusée par Reiss. Il le confirme peu d’années après dans les premières lignes du chapitre consacré au tatouage dans son manuel de police scientifique Vols et homicides, où il recourt encore à des simplifications réductrices quand il oppose une explication du tatouage fondée sur l’« atavisme » à une explication qui n’y verrait que les « tendances de l’individu » – une théorie attribuée au criminaliste français Alexandre Lacassagne (1843-1924), dans la lignée duquel Reiss se situe ici explicitement[12]. En réalité, les deux aspects coexistaient dans la criminologie lombrosienne, et la tendance à la naturalisation des marques du crime, y compris le tatouage, ne fut pas absente dans la criminologie française, surtout chez Lacassagne.

Reiss montre ici son adhésion à une démarche d’opposition entre biologie du crime et sociologie du crime, bien connue par les historiens, mais qui fut à l’époque moins une réalité qu’une stratégie rhétorique de distinction et de promotion de la criminologie française face à l’école italienne[13]. Reiss prit une part active à cette bataille dans les rangs de l’école française et préféra sans doute ne pas faire don à Lombroso d’excellents clichés de criminels tatoués. En grand créateur et praticien d’images, il savait bien que les contextes d’usage, d’exposition et de réception ne sont pas neutres et inertes, mais qu’au contraire ils apportent beaucoup à l’interprétation de leur contenu visuel. L’usage de ses clichés à des fins didactiques, muséales ou éditoriales dans un horizon théorique qu’il ne partageait pas aurait pu échapper aux intentions de l’auteur. Des images qui se voulaient non-lombrosiennes auraient risqué malgré tout de confirmer et non de démentir les (prétendues) lois de l’école concurrente.

Selon celles-ci, les criminels seraient en fait des hommes souvent fortement tatoués, marqués par des images et des messages lascifs, violents, codés en argot criminel ou se rapportant à l’univers carcéral. Ils seraient aussi indifférents à la douleur et aux risques sanitaires provoqués par des centaines, voire des milliers de piqûres à l’encre, à la poudre de charbon ou de brique, effectuées dans des conditions hygiéniques douteuses, notamment sur des parties du corps délicates telles les parties génitales que ces hommes semblaient se tatouer fréquemment[14].

En effet, en parcourant le corpus de photographies de Reiss sur le tatouage, on perçoit bien ce risque de lecture à la loupe lombrosienne. A l’exception de quelques rares tatouages photographiés se référant à des cas de suicide où le cadavre d’un inconnu se trouva tatoué (fig. 4)[15], la plupart des images sont des portraits d’hommes impliqués dans des procédures d’identification ou des enquêtes judiciaires au cours desquelles on découvrit sur leurs corps de superbes décorations. Dans le cas des cadavres, Reiss fit le choix d’isoler des détails ou de s’arrêter sur des tatouages singuliers, alors qu’il fixa les vivants plutôt en pied ou en buste.

4. R. A. Reiss, « Suicide du Pont de Chauderon cadavre de Yens », 1908. 

https://collections.unil.ch/idurl/1/48738

C’est par exemple le cas d’Émile Louis Lavrille, qui passa une première fois par le service anthropométrique lausannois en novembre 1913, à la suite d’un vol à Lausanne (fig. 5-7). Expulsé de Suisse en 1914 (ce qu’il lui était déjà arrivé en 1911), ce Français né en 1888, connu de longue date par diverses polices européennes pour insubordination militaire, cambriolage et effraction, sera arrêté à nouveau pour tentative de vol avec effraction à Genève en 1925 (à son retour de travaux forcés purgés en Guyane), puis encore à Vevey en 1927[16]. A cette dernière date, la description des tatouages de « ce récidiviste, dont le corps, comme celui des grands criminels, est un petit salon de peinture »[17] courut sur plusieurs titres de la presse vaudoise, dans la forme d’un véritable signalement offert à la curiosité des lecteurs habitués depuis des décennies à l’association entre tatouage et scènes de crime – suicides, assassinats, cambriolages, évasions – dans les colonnes des faits divers :

« [...] il porte sur le bras gauche : une étoile, une tête de femme, les mots “Classe 1906. E.V. Rameaux. Honneur aux enfants du Rhône !”, une tête de vache avec casquette, un bouquet de roses, un buste d’homme, un clown, une roue M.E.

Sur le bras droit : une étoile, un bouquet de fleurs, les mots : “Je suis né sous une mauvaise étoile”, “Honneur au 9e hussards, 1909-1910”.

Sur le medium droit : une bague.

Sur la poitrine : ces mots : “Souvenir de Tunisie”, un vase à fleurs, une tête de femme.

Sur le mollet gauche : étoile, les mots : “Marche ou crève” !

Sur le mollet droit : ces mots : “Pas trop vite” !

Sur le dos : une maison avec une femme à la fenêtre, un buste de femme[18]. »

On reconnaît dans cette description les tatouages typiques de l’univers militaire, et notamment de l’esthétique des bataillons correctionnels de l’armée française en Afrique du Nord[19], bien analysés par Lacassagne dans son ouvrage pionnier de 1881 et considérés pour leur qualité comme de véritables « miniatures », même par Lombroso[20]. Dans les trois photographies de Lavrille prises par Reiss, les tatouages signalés par la presse quatorze ans plus tard sont déjà là et bien lisibles. Tel est également le cas des autres portraits de tatoués qui appliquent le même modèle iconographique : homme, nu ou à demi nu, debout, en buste où en figure entière.

Ce modèle résulte seulement en partie des spécificités de la technique photographique et de la finalité du signalement. En effet, à l’instar des clichés représentant des hommes tatoués réalisés par d’autres criminalistes-photographes de l’époque, les portraits de Reiss sont loin d’être dépourvus de tout rapport à des modèles iconographiques lombrosiens.

5. R. A. Reiss, « Emile Lavril. Tatouages Roméo et Juliette », 1913. 

https://collections.unil.ch/idurl/1/46128

6. R. A. Reiss, « Emile Lavril. Tatouages Roméo et Juliette », 1913. 

https://collections.unil.ch/idurl/1/45757

7. R. A. Reiss, « Emile Lavril. Tatouages Roméo et Juliette », 1913. 

https://collections.unil.ch/idurl/1/45545

Les archives visuelles de la criminologie européenne héritent ce code de représentation des « icônes » de criminels tatoués, créées par Lombroso dès avant la première édition de L’uomo delinquente (fig. 8 et 9) : modèle qui demeura diffusé pendant des décennies dans les dispositifs visuels des publications et dans les stratégies de communication de l’école italienne. Ils renvoient à la longue tradition d’illustration ethnographique des tatouages des « sauvages » qui contribuait ainsi à primitiviser, sous la dictée de la théorie, des hommes dont les corps, à bien des égards, étaient en train de codifier une esthétique tout à fait moderne. Reiss en était bien conscient et saisissait avec perspicacité l’ampleur transnationale de cette circulation iconographique (« la plupart des dessins de tatouages sont, à l’heure actuelle, internationaux »[21]).

8. Cesare Lombroso, L’uomo delinquente studiato in rapporto alla antropologia, alla medicina legale ed alle discipline carcerarie, Milan, Hoepli, 1876, p. 49.

9. Cesare Lombroso, Sul tatuaggio in Italia, in ispecie fra i delinquenti. Studio medico-legale (comunicato nell’adunanza del 12 marzo 1874), Reale Istituto Lombardo di Scienze e Lettere, Rendiconti, série 2, vol. 7, 1874, p. 230.

De leur côté, les planches et illustrations des études de l’école italienne, comme les supports visuels destinés aux publics des expositions et des cours universitaires ou de police scientifique, surreprésentaient et sérialisaient ce genre d’images, en invitant ainsi auditoires, lecteurs ou visiteurs non pas à scruter l’individualité à travers les différences respectives, ou à s’arrêter sur la diffusion de nouvelles esthétiques du corps dans des milieux minoritaires et marginaux, mais plutôt à reconnaître l’existence du type – le criminel tatoué – grâce à un effet de répétition.

Certes, le criminaliste-photographe Reiss aussi ne perd pas l’occasion de fixer sur plaque un pénis tatoué (fig. 10), véritable lieu commun des savants du crime européens de toute école, « connu de tous les chefs des services d’identification »[22]. Le sujet est courant chez les Italiens qui y voyaient les attitudes à la pédérastie, soulignées notamment dans les études françaises, mais plus généralement une marque de l’aberration morale, de la perversion sexuelle et de l’insensibilité à la douleur typiques du criminel. Toutefois, sans vraiment faire basculer la photographie de tatouage dans un nouveau type de portrait dépourvu de toute association à l’univers criminel[23], Reiss ne voulait pas que ses tatoués aillent enrichir les galeries lombrosiennes encombrées qui auraient risqué de les aplatir sous le poids de catégories qui n’étaient pas les siennes, même si un air de famille dont il était évidemment bien conscient les inscrivait dans une même généalogie visuelle. 

10. R. A. Reiss, « Malakoff / Grimaldi. Tatouages sur la verge  », 1911.

https://collections.unil.ch/idurl/1/44246

 


 

Je tiens ici à remercier Vincent Barras, Christophe Champod, Philippe Kaenel et Éric Sapin pour l’accueil et l’aide dans l’accès aux sources durant mon séjour à l’Université de Lausanne et pour les échanges qui ont suivi.

[1] La citation est tirée du document suivant : Bibliothèque cantonale universitaire de Lausanne, IS 5475 fonds Reiss, Carnet de notes de Jean Burnier (1910-1911), p. [1] recto. Burnier fut le premier diplômé de l’Institut en 1911. Le meilleur travail d’ensemble consacré à Reiss et à l’histoire de l’Institut de police scientifique de l’Université de Lausanne (IPS) est celui de Nicolas Quinche, Sur les traces du crime. De la naissance du regard indiciel à l’institutionnalisation de la police scientifique et technique en Suisse et en France. L’essor de l’Institut de police scientifique de l’Université de Lausanne, Genève, Slatkine, 2011. Voir aussi Le théâtre du crime. Rodolphe A. Reiss 1875-1929, cat. exp., (27 juin-25 oct. 2009, Lausanne, Musée de l’Elysée), Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2009.

[2] Cesare Lombroso, L’uomo delinquente studiato in rapporto alla antropologia, alla medicina legale ed alle discipline carcerarie, Milan, Hoepli, 1876. La première traduction en français de l’ouvrage a été établie à partir de la quatrième édition italienne sous le titreL’Homme criminel. Criminel-né, fou moral, épileptique. Etude anthropologique et médico-légale, Paris, Alcan, 1887. Une nouvelle édition française, parue en 1895 chez le même éditeur, a été établie à partir de la cinquième édition italienne. Sur le « jubilé Lombroso » de 1906, voir Silvano Montaldo, « Célébrer Cesare Lombroso (1906-1909). Jubilé et funérailles du père de l’anthropologie criminelle », Revue d’histoire des sciences humaines, no 36, 2020, p. 63-78.

[3] Cesare Lombroso, « Il mio museo criminale », L’illustrazione italiana, vol. 33, no 13, 1er avril 1906, p. 302-306. Sur l’histoire et les collections du musée, la contribution la plus récente est Silvano Montaldo et Cristina Cilli (dir.), Il Museo di Antropologia criminale Cesare Lombroso dell’Università di Torino, Silvana editoriale, 2015. 

[4] Comme l’a récemment montré Maddalena Carli, Traces de crimes. L’Album Reiss du Musée d’anthropologie criminelle « Cesare Lombroso », papier inédit, à paraître dans Beccaria. Revue d’histoire du droit de punir (je remercie l’autrice de m’avoir mis à disposition son texte). Voir Alfonso Bovero, « Exposition d’anthropologie criminelle et de police scientifique », inComptes-rendus du VIe congrès international d’anthropologie criminelle (Turin, 28 avril-3 mai 1906), Milan/Turin/Rome, Bocca, 1908, p. 655-667 et planches I-VI.

[5] Voir à ce propos Jane Caplan, « ‹Speaking Scars›: the Tattoo in Popular Practice and Medico-Legal Debate in Nineteenth-Century Europe », History Workshop Journal, no 44, 1997, p. 106-142 ; Jane Caplan, « ‹One of the Strangest Relics of a Former State›: Tattoos and the Discourses of Criminality in Europe, 1880-1920 », in Peter Becker et Richard F. Wetzell (dir.), Criminals and Their Scientists. The History of Criminology in International Perspective, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, p. 337-361 ; Philippe Artières (éd.), A fleur de peau. Médecins, tatouages et tatoués, 1880-1910, Paris, Allia, 2004 et Gemma Angel, « Atavistic Marks and Risky Practices: The Tattoo in Medico-Legal Debate, 1850-1950 », in Jonathan Reinarz et Kevin Siena (dir.), A Medical History of Skin: Scratching the Surface, Londres, Pickering & Chatto, 2013, p. 165-179. Voir aussi Jane Caplan (dir.), Written on the Body. The Tattoo in European and American History, Londres, Reaktion Books, 2000 ; Tatoueurs, tatoués, cat. exp., (6 mai 2014-18 octobre 2015, Paris, Musée du quai Branly), Arles, Actes Sud, 2014 et Alessandra Castellani, Storia sociale dei tatuaggi, Rome, Donzelli, 2014.

[6] Rodolphe Archibald Reiss, La photographie judiciaire, Paris, Mendel, 1903, p. 205-208. Voir aussi Nicolas Quinche, « Le tatouage dans l’œil du criminaliste », in Le théâtre du crime. Rodolphe A. Reiss 1875-1929op. cit., p. 307-310.

[7] Jacques-Arsène D’Arsonval, Auguste Chauveau, et al. (dir.), Traité de physique biologique, t. 2, Paris, Masson, 1903, p. 153.

[8] Rodolphe Archibald Reiss, La photographie judiciaireop. cit., p. 208.

[9] Louis Batut, « Du tatouage exotique et du tatouage en Europe », Archives d'anthropologie criminelle, de criminologie et de psychologie normale et pathologique, t. 8, 1893, p. 90. Sur ce point, voir Alessio Petrizzo, « Il Mediterraneo a Lione. Alexandre Lacassagne e l’Album di un tatuatore lionese nel 1889 », in Gianfranco Marrone et Tiziana Migliore (dir.), Iconologie del tatuaggio. Scritture del corpo e oscillazioni identitarie, Milan, Meltemi, 2018, p. 227-255. Sur la question de l’objectivité, des techniques et des représentations scientifiques, voir entre autres Lorraine Daston et Peter Galison, Objectivity, New York, Zone Books, 2007 ; Christian Joschke, « Images et savoirs au XIXe siècle », Perspective. Actualité en histoire de l’art, no 3, 2007, p. 443-458 ; Daniela Scala (dir.), Fotografia e scienze della mente tra storia, rappresentazione e terapia, Roma, Aracne, 2018.

[10] « Quand il s’agit de portrait judiciaire, l’exactitude devient la première, la seule des qualités. La détruire ou l’atténuer par une retouche constitue presque un délit ». Alphonse Bertillon, La photographie judiciaire, Paris, Gauthier-Villars et fils, 1890, p. 20.

[11] Umberto Ellero, La fotografia nelle funzioni di polizia e processuali, Milan, Società Editrice Libraria, 1908, p. 77-79.

[12] Rodolphe Archibald Reiss, Manuel de police scientifique (technique), I, Vols et homicides, Lausanne/Paris, Payot/Alcan, 1911, p. 75.

[13] Voir entre autres Laurent Mucchielli, « Hérédité et milieux social : le faux antagonisme franco-italien » et Marc Renneville, « La réception de Lombroso en France (1880-1900) », in Laurent Mucchielli (dir.), Histoire de la criminologie française, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 107-135 et p. 189-214.

[14] Alessio Petrizzo, « Pelli criminali? La scuola lombrosiana e il corpo tatuato a fine Ottocento », Contemporanea. Rivista di storia dell’800 e del ’900, vol. 19, no 1, 2016, p. 3-41.

[15] Outre les clichés relatifs au suicide du Pont Chauderon dont la fig. 4 est un exemple, Marc Alexis Bischoff, ancien élève, assistant et finalement successeur de Reiss à l’IPS, en réalisa d’autres en septembre 1920, lors de la découverte d’un cadavre inconnu à Fournex sur la voie ferrée Lausanne-Genève : le tatouage d’une crosse de Bâle sur le bras du cadavre aida à résoudre l’enquête en attribuant une identité au suicide. Sur ce dernier cas, voir IPS, Cahier d’expertises, vol. 16, [1920], p. 335-341.

[16] Pour les registres de signalement du personnage, voir Archives cantonales vaudoises, S111/3 Anthropométrie IV. Du 18 novembre 1913 au 5 novembre 1920. N° 7319 à 10131 (no 7321) ; S111/4 Anthropométrie V. Du 5 novembre 1920 au 20 janvier 1926. N10132 à 12900 (n12674) et S111/5 Dactyloscopie VI. Du 20 janvier 1926 au 19 mai 1931. N° 12901 à 16000 (no 13696). Le négatif sur plaque de verre relatif à ce dernier signalement auprès de la Police de Sûreté de Lausanne en date du 8 juillet 1927 (sujet debout de face et de trois quarts, élégamment habillé) se trouve dans la boîte S111/77 Vieilles photos en pied 13043 à 15937 (no 13696). Un autre double portrait de Lavrille, à mi-corps, assis, habillé et torse nu, probablement de Bischoff (tirage papier et négatif sur plaque) est conservé au Musée historique de Lausanne, P.2.F.28, fonds Police, documents Z2.520.150 et 151. Je signale que deux portraits d’Émile Louis Lavrille jeune portant l’indication Disertore francese [déserteur français], font également partie des collections de l’Université de Turin, Museo di Antropologia criminale Cesare Lombroso, fonds Museo Cesare Lombroso, no 979 et n1104.

[17] « Canton de Vaud. Un cambrioleur tatoué », La Tribune de Lausanne, 8 juillet 1927.

[18] « Vaud. Vevey », Feuille d’avis de Lausanne, 8 juillet 1927.

[19] Voir à ce propos Dominique Kalifa, Biribi. Les bagnes coloniaux de l’armée française, Paris, Perrin, 2016, p. 260-264 et Muriel Salle, « Corps rebelles. Les tatouages des soldats des Bataillons d’Afriques dans la collection Lacassagne (1874-1924) », CLIO. Histoire, femmes et sociétés, no 26, 2007, p. 145-154.

[20] Alexandre Lacassagne, Les tatouages. Etude anthropologique et médico-légale, Paris, Ballière, 1881 et G. Boselli, Cesare Lombroso, « Nuovi studi sul tatuaggio nei criminali », Giornale della R. Accademia di medicina di Torino, n3-4, 1887, p. 8.

[21] Rodolphe Archibald Reiss, Manuel de police scientifique (technique)op. cit., p. 79. Reiss se limite cependant à attribuer ce phénomène à la circulation des « délinquants de profession » : arrêtés dans d’autres pays, « leurs codétenus voient et copient les dessins qui leur plaisent ». Idem.

[22]Ibid., p. 75.

[23] Xavier Domino, « Fleur de bagne. Photographies de tatoués dans l’entre-deux-guerres », Études photographiques, no 11, 2002, en ligne : http://journals.openedition.org/etudesphotographiques/273 (consulté le 31 mars 2021).



Bibliographie 

Le théâtre du crime. Rodolphe A. Reiss, 1875-1929, cat. exp., (27 juin-25 oct. 2009, Lausanne, Musée de l’Elysée), Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2009. 

CAPLAN Jane (dir.), Written on the Body. The Tattoo in Europeanand American History, Londres, Reaktion Books, 2000.

PETRIZZO Alessio, « Pelli criminali? La scuola lombrosiana e il corpo tatuato a fine Ottocento »Contemporanea. Rivista di storia dell’800 e del ’900, vol. 19, n1, 2016, p. 3-41.



Résumé

Rodolphe Archibald Reiss fut bien connu de son vivant pour avoir mis au point un procédé capable de fixer par la photographie les tatouages, l’une des marques de l’identité sur lesquelles les écoles criminalistes se disputaient en Europe depuis des décennies. L’article interroge quelques exemples de clichés de sujets tatoués issus du fonds Reiss de l’Université de Lausanne en les rapportant à la fois aux rivalités entre écoles et aux généalogies visuelles communes.



L'auteur

Alessio Petrizzo est chercheur postdoc à l'Université de Bari et enseigne l’histoire contemporaine à l’Université de Padoue. Spécialiste d’histoire politique et culturelle du long XIXe siècle en Italie et en Europe, ses recherches portent sur les processus de politisation, notamment informels ; sur les cultures visuelles, entre milieux savants et populaires ; sur la criminologie et sur le tatouage entre XIXe et XXesiècle.