R. A. Reiss : professeur, vulgarisateur et expert

Rodolphe Archibald Reiss (1875-1929), points de vue

Rodolphe Archibald Reiss : professeur, vulgarisateur et expert criminaliste

 

Nicolas Quinche

Résumé


Il est indéniable que Rodolphe Archibald Reiss a été un des pionniers de la criminalistique au début du XXe siècle (fig. 1). Il a réussi à se créer rapidement une réputation internationale dans les réseaux de scientifiques développant les techniques d’identification, les services d’identité judiciaire et les laboratoires de police scientifique. Les nombreux visiteurs, qu’il s’agisse de magistrats ou de scientifiques, qu’il reçoit dans les murs de son Institut de police scientifique à Lausanne ou dans sa villa Lumière à Pully attestent de son statut de père fondateur de la criminalistique (fig. 2). Il a ainsi noué des contacts étroits avec Alphonse Bertillon (1853-1914), créateur de l’anthropométrie judiciaire, et Edmond Locard (1877-1966), fondateur du laboratoire de police technique à Lyon.

1. R. A. Reiss, R. A. Reiss dans son bureau, date inconnue. 

https://collections.unil.ch/idurl/1/46728

 

2. R. A. Reiss, M. A. Bischoff, « Institut de Police scientifique », date inconnue. 

https://collections.unil.ch/idurl/1/47529

Quand Reiss est nommé en 1906 professeur de photographie scientifique avec applications aux enquêtes judiciaires et policières à l’Université de Lausanne, sa leçon inaugurale est intégralement reproduite dans une revue française prestigieuse, les Archives d’anthropologie criminelle, de criminologie et de psychologie normale et pathologique. Autre marque de reconnaissance attestant de l’aura de Reiss parmi les criminalistes, les policiers et les magistrats, son Manuel de police scientifique publié en 1911 (fig. 3) est préfacé par le préfet de police Louis Lépine (1846-1933) qui n’est pas avare d’éloges à son endroit, le qualifiant de « savant spécialiste » et évoquant sa « compétence, hautement reconnue à l’étranger », signalant l’ouvrage « à l’attention particulière des spécialistes ».

Reiss explique lui-même dans la préface de son manuel le public visé et il s’agit essentiellement de spécialistes du domaine. Sa synthèse est destinée à ses étudiants, aux magistrats, aux policiers et aux experts. A lire son introduction, on pourrait croire que Reiss n’éprouve que réticence ou mépris à l’endroit de la vulgarisation en matière de criminalistique. N’écrit-il pas que « Le présent ouvrage est fait par un praticien à l’usage des praticiens » ?

« Nous nous permettons d’insister sur ce point parce qu’il a paru, à plusieurs reprises, dans le domaine de la police scientifique, des ouvrages qui n’étaient que de simples compilations de vulgarisateurs n’ayant jamais fait de leur vie la moindre expertise. Tel qu’il se présente, notre ouvrage ne s’adresse pas au grand public, mais aux criminalistes. C’est pour les services de techniques de police, pour les experts spécialistes, pour les magistrats et aussi les avocats, en un mot pour les criminalistes praticiens que ce livre a été écrit[1]. » 

3. R. A. Reiss, Manuel de police scientifique (technique) : vols et homicides, Lausanne/Paris, Payot/Félix Alcan, 1911.

Reiss est indéniablement bien inséré et considéré dans les réseaux scientifiques qui développent les techniques d’identification en matière criminelle au début du XXe siècle. Il participe ainsi au VIe congrès international d’anthropologie criminelle à Turin en 1906 et y présente plusieurs communications : un congrès réputé où l’on retrouve la plupart des pionniers majeurs de la criminalistique ou de l’anthropologie criminelle, notamment Edmond Locard, Salvatore Ottolenghi (1861-1934) et Cesare Lombroso (1835-1909). Reiss publiera très vite et jusqu’en 1914 de nombreux articles dans les revues scientifiques renommées, spécialisées dans le droit, la photographie, la criminalistique ou l’anthropologie criminelle. 

Preuve supplémentaire de sa réputation scientifique, Reiss est également invité par des services de police étrangers pour transmettre son savoir-faire criminalistique. Il est ainsi invité au Brésil en 1913 durant un séjour de plusieurs mois pour moderniser les services de police, moyennant d’ailleurs une rétribution considérable qui atteste sa renommée internationale dans sa spécialité. En 1912, c’est à Saint-Pétersbourg qu’il est invité à donner des conférences. Lors de la Première Guerre mondiale, la Serbie, convaincue de l’aura internationale de Reiss et de ses compétences, l’invite à appliquer ses connaissances criminalistiques sur les champs de bataille (fig. 4-10). La reconnaissance des travaux de Reiss par ses pairs ne s’éteint d’ailleurs pas à sa mort. L’index onomastique du Traité de criminalistique d’Edmond Locard prouve qu’en 1940 Reiss et ses contributions sont encore largement présents dans les manuels de synthèse[2]. Reiss est ainsi le scientifique le plus cité avec Alexandre Lacassagne (1843-1924), qui arrivent en tête avec 69 mentions dans l’ouvrage, devant Bertillon avec 65 mentions, Hans Gross (1847-1915) avec 61 mentions, Eugène Stockis (1875-1939) avec 54 mentions, Ottolenghi 35 mentions, Juan Vucetich (1858-1925) 31 mentions et Francis Galton (1822-1911) 28 mentions.

4. R. A. Reiss, Reportage de guerre en Serbie, [1914-1918].

https://collections.unil.ch/idurl/1/51493

5. R. A. Reiss, Reportage de guerre en Serbie, [1914-1918].

https://collections.unil.ch/idurl/1/46838

6. R. A. Reiss, Reportage de guerre en Serbie, [1914-1918].

https://collections.unil.ch/idurl/1/46308

7. R. A. Reiss, Reportage de guerre en Serbie, [1914-1918].

https://collections.unil.ch/idurl/1/48683

8. R. A. Reiss, Reportage de guerre en Serbie, [1914-1918].

https://collections.unil.ch/idurl/1/49620

9. R. A. Reiss, Reportage de guerre en Serbie, [1914-1918].

https://collections.unil.ch/idurl/1/45673

10. R. A. Reiss, Reportage de guerre en Serbie, [1914-1918].

https://collections.unil.ch/idurl/1/48058


Diffusion du savoir criminalistique en dehors du cercle des spécialistes de la discipline

Mais Reiss ne saurait être présenté seulement comme un chercheur pointu limitant son savoir aux revues spécialisées et à un cénacle restreint de spécialistes. Car si Reiss a bel et bien largement contribué aux perfectionnements des techniques d’identification, il a aussi, au cours de son parcours professionnel, visé d’autres publics que ses collègues. Tout au long de sa vie, il a en effet été animé par un désir de vulgarisation. Ce savoir criminalistique ne devait pas se confiner à ses yeux dans le cercle restreint de spécialistes universitaires et des experts. Les premiers intervenants sur une scène de crime devaient aussi connaître certains aspects de la criminalistique de même que les lésés. Ceux-ci ont tout intérêt à être sensibilisés à la valeur des traces sur une scène de cambriolage par exemple. Le simple fait de connaître l’importance et la valeur des traces peut inciter les victimes à ne rien déranger ou contaminer avant l’arrivée du personnel de police technique sur la scène (fig. 11-20). 

11. R. A. Reiss, « Vol à l’hôtel Beau-Séjour Affaire Tanniger. Empreintes digitales trouvées dans une boîte à cigares laissée par le voleur », [1904].

https://collections.unil.ch/idurl/1/48869

12. R. A. Reiss, « Tentative d'incendie avenue Beau-Séjour, maison Brazzola. Empreintes de souliers dans le sable », [1906]. 

https://collections.unil.ch/idurl/1/44284

13. R. A. Reiss, « Cambriolage place Chaud[e]ron chez Ecoffey, boulanger », [1903]. 

https://collections.unil.ch/idurl/1/54542

14. R. A. Reiss, « Vol chez Pérolaz, Madeleine. Empreinte sur vitre (digitale) », [1906]. 

https://collections.unil.ch/idurl/1/44129

15. R. A. Reiss, « Vol Pré du Marché. Négatif empreintes digitales », [1906]. 

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16. R. A. Reiss, « Tentative d'effraction Deschamps. Négatif 4 de l'empreinte sur porte », 1906. 

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17. R. A. Reiss, Empreinte de pieds nus, date inconnue.  

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18. R. A. Reiss, « Affaire effraction villa Simple Mont à Chailly. Empreinte de pas sur le gravier dans l'allée allant à la porte fracturée », 1907. 

https://collections.unil.ch/idurl/1/44087

19. R. A. Reiss, « Vol chez Mayer et Cappuis. Traces de bougie par terre », 1907. 

https://collections.unil.ch/idurl/1/50916

20. R. A. Reiss, « Vol chez Reymond Bremblens. Empreinte de clous de talon sur cassette métallique », 1907. 

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En 1906, le juge d’instruction Blanchod vulgarisera dans sa brochure Instructions pour la sauvegarde des preuves au début des enquêtes une partie des recommandations de Reiss pour les agents intervenants sur une scène de crime. Malgré la diffusion de ce type de brochures, toutes les scènes de crime du début du XXe siècle en Suisse romande ne sont pas traitées de façon optimale. Reiss est ainsi appelé à intervenir à plusieurs reprises alors que les lésés ou des agents de police ont tout remis en ordre avant son arrivée sur la scène à investiguer. A Penthalaz en 1908, lorsqu’il arrive sur la scène de meurtre en plein air, il découvre que les principes de base de sécurisation et de gel de la scène n’ont pas été suivis : « Les vaches broutaient tranquillement l’herbe de la prairie où le cadavre fut trouvé ! Dans ces conditions il a été absolument impossible de rechercher des traces de pas […] »[3] (fig. 21).

21. R. A. Reiss, « Meurtre Cochard Cossonay », 1908. 

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Nécessité et inconvénients de la vulgarisation du savoir criminalistique

Mais la vulgarisation en matière de criminalistique ne comporte pas que des avantages et les pionniers de la discipline en avaient parfaitement conscience. Tout ne doit pas être diffusé dans le grand public en matière de techniques d’identification. Cela pourrait se révéler contre-productif, car en dévoilant trop précisément les procédés scientifiques utilisés le risque est de rendre certains criminels plus précautionneux. Edmond Locard avait ainsi constaté qu’à force d’avoir trop évoqué dans les médias les résultats obtenus grâce aux empreintes digitales, les criminels avaient modifié très vite leur modus operandi : « Je ne vous cache pas que si les premières années qui ont vu mettre en action partout en France l’identification par empreintes digitales ont été giboyeuses, les suivantes l’ont été beaucoup moins. Vous imaginez bien que ces messieurs-dames de la pègre ont vite appris la chansonnette, – ils mettent des gants, même si c’est peu pratique[4]. »

Les criminalistes, dont Edmond Locard, ont aussi tiré parti des journalistes pour diffuser dans la population des informations destinées à préserver les scènes de crime :

« Je me fis interviewer par les journalistes auxquels je rabâchais mon fameux : ne toucher à rien avant l’arrivée des hommes du laboratoire. Les journalistes m’ont beaucoup aidé, aussi bien ai-je trouvé une bonne volonté générale. Dès les premiers jours, j’eus un succès spectaculaire pour nos nouvelles méthodes : un couple de bons bourgeois rentrant au logis trouve sa porte défoncée ; ces braves gens préviennent la police et vont coucher à l’hôtel[5]. »

Comme certains de ses collègues, Reiss a aussi pratiqué la rétention d’informations en évitant de révéler au grand public des techniques qui pourraient faciliter la tâche des criminels. Ainsi il réservait certaines techniques au cercle étroit des spécialistes en criminalistique, dont Edmond Locard : « Plus tard, Rodolphe Reiss, à Lausanne, a fait, par une méthode qu’il ne m’a pas autorisé à révéler, de bien jolies empreintes fausses : quand il m’écrivait, il mettait l’imitation de mon empreinte sur le cachet de cire de son enveloppe[6]. »

Convaincu que les premiers intervenants sur une scène de crime doivent connaître les rudiments de la police technique, Reiss donne des cours de sensibilisation sur la conservation des traces aux recrues de la gendarmerie vaudoise. Aux gradés des polices cantonales, il donne des conférences sur les explosifs dans le cadre des cours organisés à Berne par le Bureau central suisse de police. Mais Reiss ne veut pas seulement semer les graines de la criminalistique dans les forces de l’ordre, il estime qu’il faut aussi transmettre une partie de son savoir aux pompiers qui peuvent se révéler utiles dans les enquêtes concernant les incendies. Ainsi il explique aux pompiers lausannois, genevois et neuchâtelois les causes des incendies et les rend attentifs à la nécessité de conserver certaines traces révélatrices lors de leurs interventions. A Neuchâtel en 1912, Reiss rappelle devant des sapeurs-pompiers et des gendarmes comment se comporter pour apporter des informations utiles à l’expert en criminalistique : « Il termine en insistant très vivement sur le concours de toute première importance du pompier dans les constatations de justice. Un des premiers soucis des premiers arrivés sur le théâtre du sinistre, est de constater les foyers en notant le plus exactement possible et par écrit, car les souvenirs en ces occasions sont extraordinairement fugaces, l’état des lieux et les circonstances de l’alarme[7]. »

Reiss donnera aussi des conseils pratiques aux hôteliers suisses victimes des rats d’hôtel. En 1911, il est notamment invité à l’assemblée générale de la Société des hôteliers suisses à Lausanne pour y donner une conférence intitulée « Le vol dans les hôtels et le moyen de le combattre »[8]

Ce désir de vulgariser son savoir a commencé en 1900. Reiss donne dès lors des conférences sur l’histoire et les applications de la photographie dans le cadre de la Société des sciences naturelles à Lausanne, de l’Association des étudiants en droit, du Photo-Club de Lausanne, de la Maison du peuple à Lausanne qui organise des cours pour les ouvriers, de la Société genevoise de photographie, des Sociétés d’éducation populaire de Pully et de la Société de Développement de Sainte-Croix. La plupart du temps, la presse romande annonce et rend compte positivement de ces conférences en insistant sur le talent, les mérites et la réputation du conférencier. Mais la conférence qu’il donne à Vevey le 14 novembre 1905 va provoquer une polémique. Poussé par le désir d’expliquer à son auditoire tous les services que la photographie peut rendre pour documenter le lieu d’un crime, Reiss va heurter la sensibilité de certains de ses auditeurs peu préparés à être exposés à des images choquantes prises au cours de sa pratique d’expert. Un lecteur scandalisé se plaint dans les colonnes de la Feuille d’Avis de Vevey du type d’images présentées par Reiss dans sa conférence :

« Plusieurs des projections qui nous ont été présentées étaient tout simplement repoussantes… Il est certain que la parfaite bonne foi du Comité du Musée a été surprise ; et nous ne pouvons que déplorer le sans-gêne, peut-être inconscient, du conférencier, qui devait pourtant s’attendre à parler devant des dames, des jeunes filles et même des enfants. Dans ces circonstances, notre devoir est de protester contre l’inutile étalage d’horreurs recommandé, en toute innocence, sans doute, par votre honorable journal. Il faut espérer que le Comité du Musée, toujours soucieux de son public, aura laissé entendre à M. Reiss qu’il aurait pu réserver son exhibition pour un congrès de médecins légistes ou prévenir loyalement ses auditeurs[9]. » 

Il est à noter que si Reiss cherche à sensibiliser le grand public à l’importance de la préservation des traces, il veille à ne pas dévoiler ce qui pourrait faciliter la tâche des criminels : « Mais le conférencier n’a rien dit des trucs employés par les coquins pour anéantir les traces de leur passage. Il a eu raison. Il n’est pas professeur de cambriolage et il ne devait pas enseigner ce qui peut entraver l’œuvre de la police technique[10]. » Quand Reiss donne une conférence publique, son objectif principal consiste surtout à faire passer dans les consciences qu’il s’agit de ne pas contaminer la scène de crime avant d’appeler les experts : « Vous aurez compris quel est votre devoir et le devoir du public en général. Il arrive en effet très souvent que, après un vol ou un crime, les curieux accourent sur les lieux, piétinent le sol, touchent tous les objets et détruisent ainsi les traces précieuses qui peuvent mettre sur la bonne piste un photographe judiciaire[11]. »

La vulgarisation stratégique : diffuser son savoir pour promouvoir une discipline 

Jusque dans les dernières années de sa vie, Reiss, installé en Serbie, continuera de vulgariser son savoir criminalistique. Au cours des années 1920, il rédige pour le journal belgradois Politika une série de chroniques pour diffuser dans les masses les rudiments de police technique. Mais il profite aussi de cette tribune pour encourager la Serbie à combler son retard en matière d’institutionnalisation de la police scientifique. Dans ces chroniques, Reiss tente non seulement de sensibiliser le grand public à l’importance des traces, mais aussi d’exercer une pression sur les autorités en critiquant les lacunes à combler en matière de financement de cette nouvelle discipline : 

« Dans le Royaume S. H. S[erbie], pays neuf et si éprouvé par la guerre, tout est encore à faire dans le domaine de la police moderne. Ni dans les milieux policiers, ni dans les milieux judiciaires on n’attache aux méthodes scientifiques ou techniques modernes l’importance qu’elles ont. Et pourtant, si l’on veut réorganiser la police, si l’on veut lui faire jouer le rôle qu’elle doit jouer (dans un Etat du vingtième siècle), il faut laisser la parole au technicien-policier. Plus de paperasserie, plus d’empirisme, mais de la technique et toujours de la technique.

La direction de la Politika m’a demandé d’exposer à ses lecteurs, dans une série d’articles, ce qu’est la police moderne, c’est-à-dire la police scientifique ou technique. J’ai volontiers accepté la mission et je décrirai brièvement en me servant d’exemples de ma propre pratique, ce qu’elle peut faire. Le public renseigné me prêtera alors peut-être plus volontiers son concours pour doter le pays, que j’ai appris à aimer comme le mien, d’une vraie police moderne que les milieux les plus intéressés[12]. »

En acceptant de vulgariser les grandes lignes de la criminalistique pour le public serbe dans cette série de chroniques, Reiss agit de façon stratégique pour promouvoir sa discipline en l’opposant systématiquement aux anciennes manières de faire de la police. L’avenir est désormais du côté de l’application de la criminalistique et non dans les anciennes manières d’enquêter qu’il peint sous des couleurs sombres :

« Ainsi la police scientifique ou technique a fini par embrasser toutes les branches de la police judiciaire. […] C’était la condamnation de la vieille routine policière, où des laboratoires clairs remplaçaient les pièces sombres remplies de cartons poussiéreux et… inutiles. Certes pour nous autres, qui avons livré les premiers combats contre la sacro-sainte Routine et contre les policiers de la vieille école, l’effort était rude, mais, aidés par de jeunes spécialistes tels que Locard, Balthazard et d’autres, nous avons fini par triompher. Et aujourd’hui, dans les pays du progrès, il n’y a plus de procès retentissant où le policier moderne, le policier technicien, ne joue pas le premier rôle et est le plus précieux auxiliaire de la justice[13]. »

 


 

[1] Rodolphe Archibald Reiss, Manuel de police scientifique (technique) : vols et homicides, Lausanne/Paris, Payot/Félix Alcan, 1911, p. 9.

[2] Voir Edmond Locard, Traité de criminalistique : l’enquête criminelle, t. VII, Lyon, Joannès Desvigne, 1940.

[3] Institut de police scientifique de l’Université de Lausanne (IPS), Cahier d’expertises judiciaires, vol. 3, 1908, p. 131.

[4] Edmond Locard, Mémoires d’un criminologiste, recueillis par Robert Corvol, Paris, Fayard, 1957, p. 53.

[5] Ibid., p. 19.

[6] Edmond Locard, « Fingerprints can be forged », 1927 [titre du journal non mentionné]. Archives municipales de Lyon, fonds Locard, 31 II 64.

[7] « Incendies et incendiaires », L’Impartial, 6 mai 1912, p. 1.

[8] Ses propos sur le sujet seront aussi publiés dans Hotel-Industrie, 5 janvier 1911, p. 1.

[9] O. Nicollier, [Courrier d’un lecteur], Feuille d’Avis de Vevey, 15 novembre 1905, p. 6.

[10] E. M., La Revue, 24 janvier 1910, p. 1-2. (Conférence donnée par Reiss à Pully).

[11] Ibid., p. 2.

[12] Le brouillon en français des chroniques de Reiss publiées dans Politika a été édité : Nicolas Quinche (éd.), Crime, science et identité : anthologie des textes fondateurs de la criminalistique européenne (1860-1930), Genève, Slatkine, 2006, p. 40-79.

[13] Rodolphe Archibald Reiss, brouillon pour la revue Politika, article postérieur à 1922, cité par ibid., p. 41. 



L’auteur

Nicolas Quinche a soutenu à l’Université de Lausanne une thèse sur l’histoire de la criminalistique et l’Institut de police scientifique de Lausanne. Il a notamment publié dans la Revue suisse d’histoire, Journal of forensic identification et Pour la Science. Son dernier livre Crimes et enquêtes : 60 affaires qui ont marqué l’histoire a été publié aux Editions Favre en 2020. Il rédige aussi dans le quotidien La Côte une rubrique consacrée à l’histoire régionale.



Résumé

Si Reiss est un expert renommé sur un plan international et actif dans les réseaux des criminalistes du début du XXsiècle, il n’a jamais négligé de vulgariser son savoir pour des publics variés pouvant tirer profit des bases de la police technique. Il n’a pas seulement formé des experts suivant un cursus universitaire à l’Institut de police scientifique, mais il a donné des conférences au grand public, à des gendarmes, à des pompiers et à des hôteliers. Toutefois, s’il n’a cessé de transmettre certaines notions de criminalistique, il a veillé à ne pas divulguer toutes les techniques mises au point par les spécialistes, car il était bien conscient que les criminels pourraient en tirer profit.